Discours du bureau de l’Association du Souvenir des Fusillés de Souge par Jean LAVIE
Merci Mr Le Préfet, par votre présence, d’honorer les 256 fusillés de Souge,
Merci de leur présence, au représentant du général officier général de la zone de défense et de sécurité sud ouest, aux élus de la République, à l’ensemble des autorités civiles, militaires et religieuses, aux associations mémorielles, aux composantes de l’association,
Merci pour leur aide concrète, à l’Etat Major de la garnison de Bordeaux, au 13ème RDP, à Mr le Maire de Martignas et au personnel municipal, à la mairie de Bordeaux pour le prêt important de matériel, à mesdames et messieurs les portes drapeaux, à la Croix Rouge, aux musiciens qui nous ont accueillis, aux amis de l’Ormée qui procèderont à l’appel des morts, à la garde d’honneur, aux bénévoles qui nous ont aidés à la préparation de cette cérémonie,
Merci enfin aux familles de fusillés, aux citoyens qui par leur fidèle présence perpétuent le souvenir.
Nous nous interrogeons souvent sur l’efficacité de notre travail de Mémoire, auprès des jeunes notamment.
Dorénavant à la fin de chaque visite du Mémorial nous posons la question suivante aux scolaires : « Pourquoi d’après vous, continuons-nous à évoquer ces évènements ?»
Et chaque fois des mains se lèvent pour nous répondre : « Pour rendre hommage à ces résistants, et pour éviter que cela se reproduise ». Comme quoi, nous pouvons avoir confiance dans les nouvelles générations pour peu qu’elles aient accès à l’information.
Le cycle commémoratif du 70ème anniversaire des fusillades, ici à Souge, la refonte de tous les supports de communication de notre Association suite aux recherches effectuées et à la publication du livre « Les 256 de Souge », nous ont permis, au fil des années, d’évoquer la genèse et le déroulement de la guerre 39-45, l’histoire des fusillés et de leur engagement.
Et si nous tenons tant à affirmer notre volonté d’être l’Association de tous les fusillés c’est que la caractéristique première des 256 patriotes-résistants, victimes ici de la France de Vichy et de la barbarie nazie, de leur idéologie et de leurs actes, est leur extrême diversité.
Diversité, d’origines géographiques, sociales, de métiers, , d’appartenances aux divers groupes de résistance, d’âge, d’idées.
Communistes, socialistes, gaullistes, citoyens sans parti, maréchalistes déçus, chrétiens, juifs, francs-maçons, jeunes, moins jeunes, ajusteurs ou armateur, agriculteurs ou militaires, médecins, philosophe ou ouvriers ont lutté avec un objectif commun, celui de bouter hors de nos frontières l’envahisseur et de préserver nos libertés. Ils pouvaient être concurrents, adversaires, ne pas choisir le même mode de résistance, penser que l’autre avait tort. Imaginant un monde futur différent, ils ont su s’unir, face à l’ennemi, difficilement parfois, dans le Conseil National de la Résistance notamment. Ils ont su dégager les axes majeurs de reconstruction d’une société progressiste, le « modèle français », fait de conceptions républicaines, de garanties, de droits, de démocratie, qui restent modernes pour peu que nous sachions les conjuguer dans le Monde et l’Europe d’aujourd’hui.
Traditionnellement, lors de notre hommage annuel aux fusillés, dans cette enceinte, nous essayons d’approfondir un aspect particulier de leur histoire.
Après avoir examiné en détail l’action de chacun des groupes durant les 4 années de fusillades, nous avons évoqué les décisions qui avaient conduit ces combattants devant le poteau d’exécution pour noter que 125 d’entre eux avaient été fusillés comme otages, 77 avaient été condamnés par un tribunal allemand, et 54 passés par les armes sans autre décision que celle d’un officier nazi.
L’an dernier nous nous étions interrogés sur l’utilité, pour aujourd’hui, du travail de mémoire et des commémorations, et nous avions mis en avant quelques idées premières.
Face à la montée des extrêmes-droites en Europe et dans le monde, face aux fanatismes de tous ordres, aux volontés de domination, rappelons-nous le contexte économique des années 30, l’idéologie fasciste, en Espagne, au Portugal en Italie, le nazisme fait de racisme, du mythe du bouc émissaire, du rejet de l’autre, d’extermination, de déportation, de répression contre tous ceux qui ne pensent pas comme il faut, d’atteintes aux libertés.
Autant de raisons qui expliquent les millions de morts de la guerre, la répression contre les résistants, les fusillades…et la douleur d’un parent, d’un époux, d’un frère, d’un enfant.
Cette année nous avons choisi de ré-évoquer les 27 fusillés d’origine étrangère mais aujourd’hui sous l’angle du groupe de résistance auquel ils appartenaient.
– Israël Leizer Karp a d’abord fui sa Pologne natale pour vivre quelques années en Belgique, se faire renvoyer en Pologne, pour revenir aussitôt en Belgique avant de se fixer à Martignas. Il est le 1er fusillé, le 27 août 1940, trois jours après avoir protesté lors du passage d’un détachement de musique allemande à la gare Saint Jean.
– Quatre d’entre eux ont été fusillés comme otages.
Un le 24 octobre 1941. Louis Gustave Rochemont, né en Haïti, fils d’un marin, vit à Bègles, est un militant communiste, arrêté en décembre 1940 et interné au camp de Mérignac.
Trois le 21 septembre 1942. Vicente Gonzalez-Angulo, et Lucio Vallina sont des communistes actifs dans les FTP, bordelais pour Gonzalez, charentais pour Vallina (ancien de l’armée républicaine espagnole), et internés au Fort du Hâ. Jean Rodriguez fait le lien entre les organisations espagnoles et le PCF. Il est arrêté pour activité communiste alors qu’il distribue des tracts. Tous trois sont espagnols.
– Stanislas Ryps, polonais, vit à Nantes. Au nom du groupe de Résistance Hévin-Barreau-Bouvier il accompagne un pilote de la Royal Air Force vers les Pyrénées. Il est arrêté, condamné, et fusillé à Souge le 12 septembre 1942.
– Jacques Palacin, espagnol, membre d’Honneur et Patrie de Charente Maritime, reçoit des parachutages à Saint-Just et organise le transport des armes. Prévenu à temps lors des arrestations du groupe, il se cache, mais revient voir sa femme et ses enfants. Il est arrêté, torturé avant d’être condamné et fusillé le 11 janvier 1944.
– Guisto Carioni, Giuseppe Montanari et Werter Saïelli , italiens antifascistes obligés de s’expatrier, sont engagés dans de nombreux sabotages initiés par le groupe FTP Bourgois, groupe M.O.I section des italiens autour du Vigean. Ils organisent aussi un attentat contre un officier des renseignements italiens à Bordeaux. Ils sont fusillés avec 18 membres du groupe.
– Eugène Strauss (Allemand) et Martin Wittemberg (Hongrois), réfugiés en Dordogne, arrêtés avec tous les hommes du village de Saint Michel de Double, figurent sur la liste des israélites, fusillés le 19 avril 1944.
– « Les six soviétiques », fusillés le 9 mai 1944, Gregori Balonowski, Michaël Erefeew, Michaël Gembajev, Gregori Gorobzov, Vassili Iltschinko, et Gregori Stupakov, enrôlés de force dans l’armée allemande ont fomenté une rébellion dans leur cantonnement à Soulac, mais ont été dénoncés par un compatriote.
– C’est la fusillade du 1er août 1944 qui compte le plus d’étrangers :
– Les frères Garcia, Dionisio et Casimiro, d’origine espagnole, sont engagés dans le groupe-franc Marc. Chargés des transports d’armes et de sabotages de voies ferrées, ils sont trahis par un membre du réseau.
–Alphonse Fellmann, allemand d’origine, réfugié d’abord à Colmar, appartient au maquis de Vignes-Oudides en Médoc. Il monte la garde lors de l’attaque du maquis de Liard par les Allemands et la milice.
–René Moretto, italien, circule à vélo près de la Ferme de Richemont lors de l’attaque des Allemands et de la milice le 14 juillet 1944 et est arrêté. Il est homologué soldat FFI maquis de Saucats. Sa famille ne l’ayant pas reconnu parmi les dépouilles lors de l’exhumation des corps de la fosse commune et a sollicité les autorités françaises sur une présence éventuelle à Lublin en Pologne, sans résultat.
Leandro Virgil est espagnol né à Gijon, nous ne savons rien de son action.
Enfin quatre sont des fusillés du Train Fantôme, lequel a mis deux mois pour rejoindre les camps de concentration allemands après moult péripéties dont un enfermement dans la synagogue à Bordeaux durant 3 semaines. Ils font partie des 10 désignés (par qui pourquoi nous ne savons pas) pour être passés par les armes. Deux étaient espagnols. José Figueras-Alemada et Joseph Uchsera, combattants républicains, enfermés au Vernet après la guerre d’Espagne puis à Toulouse. Emilio Périn, lui, est italien et engagé dans l’Armée Secrète. Litman Nadler est roumain. Appelé docteur Madeleine car il est étudiant en médecine à Toulouse, il est inscrit sur la liste des victimes du Mouvement de Libération Nationale.
Comme pour les victimes de nationalité française, nous retrouvons la même grande diversité : géographique, d’âge, mais aussi d’engagement dans les diverses formes et mouvements de résistance, et la même volonté de se battre pour préserver les droits humains fondamentaux.
Ces engagements méritent reconnaissance. Or, dans l’immédiat après-guerre un étranger ne pouvait être reconnu « Mort pour la France » que s’il était mort « les armes à la main », ce qui a exclu à cette époque les fusillés étrangers de Souge.
Notre association a l’intention de demander cette reconnaissance et nous savons pouvoir compter sur l’aide de chacun d’entre vous pour obtenir cet ultime hommage.
Merci.
