Discours du bureau de l’Association du Souvenir des Fusillés de Souge par Dominique MAZON
Merci tout d’abord, pour leur présence, à Mr le représentant de Monsieur le Préfet, à l’officier général de la zone de défense et de sécurité sud-ouest, aux représentants des institutions, aux élus(es), aux autorités militaires,
Merci aux municipalités de Bordeaux, Martignas et Saint-Médard en Jalles pour l’aide et le prêt de matériel, au 13ème RDP pour sa contribution à la préparation du site,
Merci à la Chorale de l’Ormée, aux jeunesses communistes, aux composantes, à tous ceux qui ont aidé à la préparation de la cérémonie, aux familles, à vous tous qui vous êtes déplacés en ce dimanche après-midi.
Le 80ème anniversaire des fusillades de 1943 nous permet de répondre à notre objectif permanent de rendre hommage à Tous les fusillés, qui, dans leur extrême diversité, idéologique, politique, géographique, professionnelle, d’âge, de représentation des divers mouvements de Résistance, se sont battus avec abnégation contre l’envahisseur nazi et ses complices de Vichy.
Lorsque nous accompagnons les visiteurs pour une visite du Mémorial, nous avons coutume d’appeler leur attention sur le fait que les cycles de fusillades suivent le déroulement de la guerre et de l’occupation.
Et il en est bien ainsi, pour ce 80°anniversaire.
1943 est un tournant.
Cette année-là est marquée à Souge par deux exécutions :
Deux hommes, condamnés à mort en 1942 et considérés comme espions, seront fusillés : Gustave Deflandre et René Hontangs. Gustave Deflandre, prisonnier évadé, condamné le 3 juillet 1942 sera exécuté six mois après. René Hontangs, accusé d’avoir agressé un militaire allemand est exécuté le 13 octobre.
Après l’hémorragie de 1942 avec ses 99 morts à Souge et avant les 102 fusillés de 1944, d’autres choix seront faits pour l’élimination des résistants.
Après les succès militaires allemands d’importance en particulier à l’Est, et les massacres qui y sont attachés, au cours de l’année 1942, la guerre devient mondiale.
Les alliés débarquent en Afrique du Nord en novembre, entrainant la création d’un second front, attendu par l’Union soviétique pour soulager ses efforts depuis l’invasion de 1941. La réponse, le 11 novembre 1942, c’est l’occupation de l’ensemble du territoire par l’Allemagne
Mais ce sera aussi la politique de la Relève mise en place par Laval qui est un échec, mais dégrade l’image du gouvernement de Vichy. Du côté allemand la politique des otages est analysée comme contre-productive, et la déportation va être démultipliée.
En Europe, la défaite allemande devant Stalingrad en février, va accélérer l’évolution.
Ces éléments vont avoir un impact fondamental sur l’état d’esprit des populations occupées : l’Allemagne n’apparait plus invincible.
Devant le besoin allemand de main d’œuvre, la création du STO, la multiplication des déportations qu’elles soient en vue du travail forcé ou de l’extermination, la résistance va se développer, se structurer, et choisir de se rassembler pour l’indépendance nationale derrière le Général de Gaulle, écartant le général Giraud représentant les appétits anglo-américains sur notre pays.
Cette ambition va permettre, dans la diversité des opinions d’imaginer le renouveau de la France avec le Conseil National de la Résistance.
Mais il ne faut jamais oublier que le nazisme est une idéologie totale.
Himmler avait déclaré dans un discours peu après les funérailles de Reinhard Heydrich qu’il faudrait « remplir nos camps avec des esclaves… avec des serfs qui construiront nos villes, nos villages et nos fermes sans que nous nous souciions des pertes quelles qu’elles soient ».(cité dans « la Révolution culturelle nazie » p. 112)
Et c’est ce qui va être mis en œuvre. Pour tous ceux qui n’appartiennent pas à la « race des élus », les adversaires de tous ordres : communistes, marxistes et organisations apparentées, gaullistes, résistants divers, saboteurs, émigrés, francs-maçons, juifs, tziganes, homosexuels.
C’est aussi ce qui va être appliqué pour les femmes résistantes.
Dans la conception nazie, héritée de l’empire, le rôle des femmes se résumant dans les 3 K (Kindern, Küche, Kirche) c’est à dire les enfants, la cuisine et l’église, elles ne peuvent subir une exécution par fusillade, réservée aux combattants. Leur statut inférieur dans une société dominée par les hommes, n’en fait pas pour autant pour le régime des ennemies négligeables. Elles peuvent donc relever de la catégorie des serfs telle qu’indiquée ci-avant.
Concernant les femmes, justement, écoutons quelques textes nazis :
Ayant le devoir de se reproduire, celles qui y manqueront,
«devront être évaluées du point de vue social et moral comme elles le méritent. Elles n’ont pas plus de valeur que le planqué ou, au pire, le soldat déserteur. La guerre totale va donc aussi mener à une révolution contre les concepts moraux hypocrites de l’âge bourgeois ».(revue SS Leitheft n°2 1944).
Ou encore :
« Quiconque considère le mariage du point de vue de la race, comprendra tout de suite…qu’il n’y a là aucun mépris de la femme, mais sa naturelle subsomption (il faut entendre subordination) sous les intérêts de la race. » (cité dans « la révolution culturelle nazie » P. 219
Ces citations montrent que derrière les discours publics, hier comme aujourd’hui se tapissent des idées nauséeuses mettant en danger les libertés.
Donc, femmes et résistantes, les épouses, mère, sœurs compagnes de fusillés à Souge, Hélène ANTOINE, Yvonne BAUDON, Georgette BRET, Germaine CANTELAUBE, Hélène CASTÉRA, Elisabeth DUPEYRON, Noémie DURAND, Ida GOLDMAN, Marcelle GIRARD, Aminthe GUILLON, Yvette GUILLON, Berthe LAPEYRADE, Yvonne NOUTARI, Yvonne PATEAU, Pauline POMIÈS, Marie-Thérèse PUYOOU, Paula RABEAU, Margot VALLINA, étaient l’exemple contraire à la conception nazie. Celles qui ont été embarquées dans le convoi du 24 janvier 1943, sont décédées à Auschwitz entre février et juin 1943.
Ce sont les pertes dont selon Himmler il n’y avait pas lieu de se soucier.
Mais toutes et tous, nous entretenons leur souvenir de combattantes pour la liberté.
Les déportations ne suffisaient pas à empêcher le développement de la Résistance.
Les exécutions de 1943, les déportations, ne signifient pas que la répression est éteinte au cours de l’année.
Face à l’insécurité croissante pour les occupants, Vichy, sur injonction nazie, crée la milice française le 30 janvier 1943. Les polices françaises de leur côté, depuis longtemps compétentes dans la traque des communistes, se mobilisent pour juguler la Résistance En 1943, les sabotages et agressions anti-allemandes se multiplient. Leur but de faire en sorte que les occupants ne se croient pas installés, avec une population apathique, est atteint.
La chasse aux gaullistes, et aux différents réseaux et groupes va aussi s’accentuer. 1943 sera une année de traque visant toutes les formes d’opposition. Il ne faut jamais oublier le rôle actif de français dans les rafles de juifs, et dans la poursuite des résistants. Tout cela dans le but de les livrer aux nazis.
Lorsque nous célébrerons le 80ème anniversaire des fusillades de 1944, c’est le résultat de la grande diversité de cette répression qui apparaitra.
Nous voyons bien à la lumière de ce qui se passe dans le monde, la nécessité de toujours combattre les résurgences des idées qui ont amené à l’élimination des populations jugées indésirables tant les juifs, les tsiganes, les homosexuels que les combattants de la Liberté que nous honorons aujourd’hui.
Demeurer vigilant alors que dans de nombreux pays reviennent l’autoritarisme, la division entre les « bons » citoyens et ceux que l’on exclue, la guerre. Nous ne devons pas nous y tromper, les idées d‘extrême-droite sont aujourd’hui masquées derrière des motifs qui dissimulent le rejet de l’autre, la xénophobie. Il nous faut donc, inlassablement rappeler où ont mené ces idées.
Merci
