Discours du bureau de l’Association par Dominique MAZON, le 27 octobre 2019

Discours  du bureau de l’Association du Souvenir des Fusillés de Souge par Dominique MAZON

Merci de leur présence au représentant de Madame la préfète, au représentant du Général officier général de la zone Sud-ouest, aux élus de la République, à l’ensemble des autorités civiles, militaires et religieuses, aux associations mémorielles, aux composantes de l’association, à l’état-major de garnison de Bordeaux, au 13ème RDP qui outre le piquet d’honneur a appelé les jeunes militaires en cours de formation à participer à cette cérémonie, à Mr le maire de Martignas et au personnel municipal, à la mairie de Bordeaux pour le prêt important de matériel, à la caisse des œuvres sociales d’EDF/GDF, à mesdames et messieurs les portes drapeaux, à la Croix Rouge, aux musiciens qui nous ont accueillis : Adrien Nemtanu, violon à l’ONBA et trois de ses élèves Lucy de Maury, petite-fille de Jacques Palacin, Alice Marie, Mathilde Paumier, et Lohan Magnan, aux amis de l’Ormée qui procéderont à l’appel aux morts, Jean-Pierre Jouglet, Clémence Delfaud, Denis Hernandez, aux bénévoles qui ont aidé à la préparation.

Merci aussi aux familles de fusillés, aux citoyens qui par leur fidèle présence entretiennent le souvenir.

Notre cérémonie, cette année est entachée de peines supplémentaires. Nous avons perdu Jean-René Mellier, fils de René Mellier fusillé le 21 septembre 1942. Jean-René qui a, durant des années, été un des piliers de notre bureau et de l’activité de l’Association. Les enfants de fusillés qu’il a aidés dans leurs démarches en vue d’obtenir les indemnités qui leur étaient dues s’en souviennent bien. Nous l’avons accompagné le 14 février. Claude Laroche, représentant, dans notre Conseil d’Administration, le comité du souvenir des époux Baudon nous a également quittés. Nous l’avons aussi accompagné le 15 avril.

Et cet été, le 22 juillet, nous étions nombreux pour les obsèques de notre président Jo Durou. Nous sommes très touchés par sa disparition. Nous voulons rappeler son inlassable volonté de témoigner pour l’avenir. Parmi les messages qu’il nous a livrés il en est un dont il faut se souvenir aujourd’hui, dans ces temps où l’individualisme est avancé comme une valeur épanouissante pour l’être humain. Il racontait les moments précédant la fusillade du 24 octobre 1941 écoutons-le :

« La veille donc de ces fusillades, un des bras droits de Poinsot de la brigade spéciale, chargée de cette lutte anti-terroriste comme ils disaient, vient nous interroger, les 20 de la baraque d’otages les uns après les autres, et ils nous tiennent à peu près ce langage : «  vous savez que vous êtes dans la baraque d’otage, nous savons aussi, disent-ils, que de cette baraque d’otages partent des directives, que vous dirigez la lutte clandestine à l’extérieur, et, vous êtes en contact donc avec l’extérieur vous connaissez du monde, et vous savez, vous n’avez aucune illusion à vous faire, demain on va en fusiller 50 comme on a fait à Nantes et à Châteaubriant. Si vous voulez sauver votre tête c’est possible, vous nous donnez quelques noms des gens que vous connaissez, de l’extérieur et puis on vous donne l’assurance que vous ne serez pas fusillés ».

Comme vous le pensez, les 20, les uns après les autres mais unanimes, répondent la même chose, ils n’acceptent pas de se vendre.

Et, ce fut cette nuit terrible où l’on se disait : demain c’est la fusillade, demain c’est terminé, qu’allons-nous faire ? Et on a passé une partie de la nuit à se poser ces questions qu’allons-nous faire avant d’être fusillés comment on va s’y prendre pour porter un dernier coup à l’ennemi, comment on va réussir à faire que notre mort serve, ne soit pas inutile ? Voilà. Et nous avons vu le matin, appelés un par un les camarades qui allaient être fusillés. »

C’est donc ensemble qu’ils s’étaient préparés à faire face au peloton d’exécution.

De son côté, le jeune Audran, le même soir, au Fort du Hâ disait : « Alors, adieu mon vieux Gaby… c’est demain matin le grand jour. Je finirai ce soir toutes mes provisions avec les copains… ».

Ceux qui ont été tués ici n’envisageaient pas de gagner seuls. C’est dans le collectif et l’entraide au service de tous, non d’un chef, qu’ils ont trouvé les ressources pour se battre contre l’idéologie de division alors en œuvre avec la victoire militaire des nazis et la collaboration.

Les jeunes du groupe que l’on appelle groupe Auriac se sont regroupés pour transmettre des renseignements stratégiques à Londres.

Les bretons, arrêtés au passage de la ligne de démarcation, ont pris leur vélo pour tenter de rejoindre Londres. Les communistes ont constitué, dès leur internement à Mérignac, ce qu’ils nommaient l’Organisation spéciale dont Poinsot tentait, comme nous le racontait Jo, d’obtenir les noms des dirigeants pour éviter l’exécution.

Et qu’ont fait 7 jeunes du Nord : ils ont pris eux aussi leurs vélos et sont descendus vers le sud où ils ont été recrutés par les services secrets, les SSDN.

Ceux que nous appelons les postiers se sont organisés pour diffuser les tracts reçus en gare et collecter des armes.

De la même façon les fusillés du 21 septembre 1942, que l’on évoque les girondins ou les charentais avaient organisé leur résistance collectivement.

Puis, après la libération de la Corse, le débarquement des alliés en Afrique du Nord et la victoire de Stalingrad, les conditions de la guerre ont changé. Et l’espoir va renforcer la détermination de ceux qui ont pris la relève des résistants tombés dans la lutte. Le groupe de l’OCM Honneur et Patrie en Charente maritime, né en 1942, voit ses effectifs regrouper plus de 100 résistants.

Le groupe FTPF Bourgois, composé à la fois de girondins et de cadres venus d’autres régions atteint le chiffre de 60 engagés sur l’ensemble de la Gironde.

En avril 1944 les « 7 israélites » arrêtés en Dordogne étaient principalement des réfugiés du Nord ou de l’Est qui ont choisi d’aider la Résistance et les maquis. Les soviétiques fusillés en mai se sont regroupés aussi pour tenter de détruire le logement des militaires allemands qui les encadraient. Enfin la fusillade du 1° août 1944 voit la disparition de 12 hommes de la Dordogne : maquisards, combattants clandestins de l’armée secrète ou FTPF, ils avaient recherché dans le collectif la possibilité de se battre efficacement.

À Bordeaux où la situation de la Résistance est confuse après la trahison de Grandclément, Lucien Nouhaux constitue le corps- franc « Marc ». Déterminés et actifs, 8 de ses membres le paieront de leur vie. Les maquis comme Vignes Oudides dans le Médoc, de la ferme de Richemont ou les FTPF d’Ychoux sont aussi des exemples du refus du repli individuel. De même que l’engagement des dix du train fantôme, arrivant de la Haute Garonne et de l’Ariège où, policiers ou civils, ils œuvraient pour permettre l’évasion vers l’Espagne et la lutte contre le nazisme.

Alors, oui, comme Jo nous pensons que l’être humain est lié aux autres êtres humains. Il nous a raconté comment la solidarité dans les camps de travail ou d’extermination était susceptible de sauver l’autre, un autre soi. Et les fusillés que nous venons d’évoquer avaient dans leur très grand nombre fait le choix de refuser cette idéologie qui désigne un bouc émissaire et cherche à asservir un peuple pour soi-disant le bonheur d’un autre. Ce sont bien la solidarité et l’engagement collectif, dans la diversité des opinions qui ont permis d’éradiquer l’horreur, de rétablir la République et ses valeurs, de construire les jours heureux avec le Conseil National de la Résistance et de regagner l’indépendance de la France.

À nous tous de ne pas l’oublier alors que les héritiers de ces idées relèvent la tête et frappent à nouveau. À nous tous de faire barrage à la montée de tous les extrémismes et aux attentats racistes.

Dans le respect de nos aînés, nous nous devons de ne pas tolérer que renaisse la xénophobie, l’antisémitisme, l’idéologie de domination et d’asservissement.

À nous tous de témoigner, à notre tour. À nous tous d’agir.