Rendre hommage aux fusillés, c’est aussi évoquer la dimension humaine de ces hommes qui aimaient la vie, leur familles, leurs amis.
La mise en valeur de ces quelques témoignages poursuit cet objectif.
Outre leurs lettres et la parole de leurs enfants et petits enfants, cette rubrique est appelée à recevoir divers autres témoignages de personnes ayant connu ou fréquenté certains des fusillés ou amenant des éléments historiques.
Ainsi l’Association a sollicité le témoignage d’enfants, petits-enfants, neveux ou nièces de fusillés qui parlent ici témoignages vidéo de leur vécu et de celui de leur famille.
Les lettres que nous présentons ci-après nous ont été, pour l’essentiel, confiées par les familles de fusillés.
II n’est pas possible de publier l’ensemble des lettres et des écrits des familles dont nous disposons.
L’anonymat de la présentation des extraits que nous proposons permet à la fois de respecter l’intimité des familles et d’éviter la mise en exergue d’une victime par rapport à une autre.
Deux catégories d’écrits ont, parmi beaucoup d’autres, été choisies
Certaines lettres permettent de mieux connaître les conditions de détention au Fort du Hâ ou à son annexe Caserne Boudet :
« Qui que vous soyez, rendez-moi le service de faire passer ce mot à ma femme pour qu’elle ait de mes nouvelles… je vous en remercie d’avance au nom de mon enfant. Faites ce geste en mettant ce pli sous enveloppe et en l’envoyant à l’adresse ci dessous…
Ma chère femme, ma chère enfant,
Je confie ces deux mots à la bonté d’un passant qui j’espère fera le geste que je lui demande, je suis bien malheureux d’être séparé de vous, mais il faut espérer que la séparation ne sera pas bien longue…
…si tu peux venir, viens à la rue devant le numéro 8, de midi à deux heures, car à ce moment-là c’est à peu près tranquille, jeudi. Je sais que je suis rue de Pessac, au Conseil de guerre…
Je te demanderai ma chérie, de faire ce que tu pourras pour m’envoyer à manger, car j’ai faim, bouillon le matin et le soir, avec un morceau de pain gros comme le poing…
Je pense continuellement à vous et le moral travaille dur… As-tu mon vélo pour aller au jardin où tu dois avoir beaucoup de travail et ensuite faire des conserves… »
« …. quand tu viendras, pour lire le papier va-t’en un peu plus loin, et un quart d’heure après reviens pour me voir et tu t’en iras, et avant que je te lance le papier tu feras attention qu’il n’y ait personne… Tu enverras l’autre lettre à …
… si un jour tu viens et que je ne sois pas à la fenêtre, va jusqu’au bout du bâtiment et reviens. Si tu ne me vois pas, c’est que j’aurais changé de cellule…
… Je te promets que les petits pains et les œufs c’était bien bon, et c’est dommage qu’il n’y en avait que deux, mais si les autres paquets passent, là ça sera la fête… »
« … la barbe c’est 3 Frs, les cheveux 6 Frs… tu me dis que tu m’envoies le mandat, mais de combien il est ? … »
« … depuis 53 jours que je suis ici… et si j’étais condamné et que je doive passer l’hiver ici, tu m’enverras des effets, ceux que j’ai de plus vieux, car le linge est lavé à la machine et il revient dans un triste état… »
« …en attendant de vous voir à toutes les deux, reçois ma chérie les meilleurs baisers de ton mari qui pense à toi, embrasse bien fort ma Jojo. Bonjour à tous. »
Extrait des paroles d’une chanson écrite lors de la détention :
« … Le jour où je fus arrêté
Si tu savais comme je fus matraqué
Ils me laissèrent pour le moins 48 heures sans manger
Grelotant sur le bas flanc »
Trois mois avant son exécution,du Fort du Hâ où il est emprisonné,un résistant écrit à son oncle et à sa tante :
(la lettre a-t-elle échappé à la censure ? a-t-elle suivi un canal de sortie clandestin ? Nous ne le savons pas) :
« Je m’attends à être condamné à mort… Les boches sont déchainés. Je vous ai déjà dit que j’attendais avec calme… Je ne regrette rien et si c’est dur pour moi de mourir à vingt-cinq ans, je me raisonne et m’apprête à faire bonne contenance devant la mitrailleuse boche. Je pense à ma mère que les assassins ont rendue folle, à mon père qui est mort certainement depuis longtemps. Camarades, faites payer aux boches nos tortures physiques et morales. Au centuple, tuez, tuez sans pitié chaque boche …
N’oubliez jamais les boches français, la sinistre bande à Poinsot, l’inspecteur principal René Perrot de Puignac (probablement Pugnac ndlr), Evrard, Célérier, Englade… Ne vous occupez pas d’une justice officielle si elle doit être longue. Faites payer les tortures, les morts, la faim qui nous tord l’estomac. N’oubliez rien.
Avant de terminer, j’embrasse tendrement ma compagne, ma courageuse amie… Qui elle aussi, souffre en prison. Dites-lui que c’est avec une pensée pleine des jours durs mais heureux que nous avons passés ensemble que je m’apprête à mourir le plus courageusement possible.
Et vous tous, chers camarades, continuez l’œuvre entreprise. Nous vous passons le flambeau. Il est, je suis sûr, en bonnes mains. Le Communisme c’est l’avenir du monde.
Je vous embrasse bien fort.
Vive le Parti communiste !
Vive la France ! »
D’autres lettres sont écrites juste avant l’exécution,
Deux heures avant d’être passés par les armes, les otages désignés, les condamnés à mort, pouvaient parfois écrire une dernière lettre à leur famille. À condition de ne rien écrire de « politique ». Sans cela elles n’étaient pas envoyées.
Ces derniers messages réaffirment très souvent les choix d’engagements résistants, le courage face à l’exécution. Elles sont des témoignages d’amour et d’encouragements vers l’avenir.
Les six extraits suivants nous ont semblé significatifs.
« Chère Petite Mère, Cher Petit Père,
Je vous écris ces dernières paroles qui vous feront beaucoup de peine car votre seul et unique fils qui vous quitte pour toujours, part à la mort après avoir dit toute la vérité et être innocent.
Aussi par conseil de Monsieur le curé, vous serez protégé malgré tout, car il me l’a promis et le Bon Dieu aussi.
Je vous quitte en vous assurant que je serai courageux jusqu’au bout. Recevez, bien chère Petite Mère et cher petit Père, les plus gros baisers de votre fils qui meurt en bon chrétien je vous le promets.
Adieu Maman, adieu papa, pour toujours au ciel.
Maman, papa, votre seul fils, Courage. »
« Petite Mère,
Je regrette de tout cœur la peine immense que je vais te causer ainsi qu’à toute la famille. Je vais être exécuté ce matin dans une heure ou deux. Je pars sans peur et avec courage. Je te souhaite de tout cœur d’être heureuse avec…
…. À tous, je vous quitte et vous dis adieu en vous serrant sur mon cœur. »
« Ma chère femme, mon cher père, ma chère mère…
Je vous annonce la triste nouvelle que je vais être fusillé dans deux heures. Toi, ma petite femme chérie tu tâcheras d’oublier et tu referas ta vie. Excuse-moi si je t’ai causé de la peine. Mes économies qui sont chez nous, tu peux en disposer, et j’espère que l’on te considérera toujours de la famille. Adieu pour toujours… »
« … À huit heures je serai exécuté, chérie, je te demande d’être très courageuse, moi je puise mon courage en toi et en Dieu. Je viens de me confesser et de communier et je t’attendrai là -haut mon amour, je meurs en pensant à toi. Je sais chérie que tu te gardes à ton homme, mais si un jour tu as l’occasion de refaire ta vie, je t’autorise mon amour chéri à le faire et à être heureuse. Je te demande de penser souvent à ton Pierrot pour qui tu étais tout, tout, car je t’adore ma petite femme. Je regarde la mort en face mais à toi chérie je te demande d’être courageuse… »
« Ma chère petite femme aimée,
Je t’écris cette dernière lettre car je viens d’apprendre que dans deux heures, je vais être fusillé. Soit courageuse, pense aux enfants, tu sais que je n’ai jamais rien fait que j’ai toujours été bon pour vous, hélas tout espoir de vous revoir est perdu, tu ménageras la nouvelle à ma mère. Tu sais, c’est dur de te faire souffrir de la sorte, embrasse mille millions de fois mes chéries, soit bonne mère…
… Pardon, pardon à tous… »
« … À vous qui vous êtes dévoués, sacrifiés, qui avez sacrifié toute votre vie pour me donner une solide instruction… La mort ne me fait pas peur… Je ne souffrirai plus, je n’aurai plus faim, je n’aurai plus le cœur assoiffé de liberté, et au moins je ne serai plus dans mon infâme cellule derrière mes barreaux, toujours affreusement triste. Donc vous voyez papa et maman chérie que ce n’est pas moi le plus à plaindre… À cause de moi vous allez être pendant des années torturés moralement…
Soyez fort et courageux pour moi. Reportez sur mon frère tout l’amour que vous me vouez. Essayez de m’oublier en vous disant : Notre Pierrot est mort pour une noble et grande cause. Sa mort n’a pas été inutile, il le savait en mourant… »


