Discours du bureau de l’Association par Jean LAVIE, le 23 octobre 2022

Discours du bureau de l’Association du Souvenir des Fusillés de Souge. Jean Lavie.

Mesdames et Messieurs,

Merci tout d’abord, pour leur présence, à Mme la représentante de Mme la Préfète, au représentant de l’officier  général de la zone de défense et de sécurité sud- ouest, aux représentants des institutions, aux élus(es), aux autorités militaires,

Merci aux municipalités de Bx et Martignas pour le prêt de matériel, au 13ème RDP pour sa contribution à la préparation du site,

Merci à la Chorale de l’Ormée, aux composantes, à tous ceux qui ont aidé à la préparation de la cérémonie, aux familles, à vous tous qui vous êtes déplacés en ce dimanche après midi.

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Le 80ème anniversaire des fusillades de 1942 nous permet de répondre à notre objectif permanent de rendre hommage à Tous les fusillés, qui, dans leur extrême diversité, idéologique, politique, géographique, professionnelle, d’âge,  de représentation des divers mouvement de Résistance, se sont battus avec abnégation contre l’envahisseur nazi et ses complices de Vichy.

1942 se caractérise en début d’année par une série de fusillades de résistants isolés arrêtés souvent pour des délits individuels comme les détentions d’armes. L’action contre les groupes de résistants, c’est d’abord en mars, la fusillade des jeunes chrétiens partis en vélo du Nord vers Poitiers pour certains, venant de Caudrot pour un autre, pour s’engager dans les Services Spéciaux de la Défense Nationale au sein des réseaux de renseignements Chabor, Vénus et Kléber. En juillet, ce sont les membres du réseau Jove liés à l’Intelligence Service (l’épouse de René Jacob est anglaise) qui sont pris avec leur valise radio et passés par les armes. L’un d’entre eux, inspecteur de police stagiaire à Reims est connu comme franc-maçon.

Mais 1942 ce sont aussi 77 otages sur 99 fusillés. Aussi nous nous attarderons cette année sur « La politiques des otages » menée par les allemands en 41, 42 et début 43.

Si durant l’occupation il y a eu de multiples catégories de victimes, les « otages » fusillés au sens de la « politique des otages », ont été 725 au plan national.

L’historiographie est aujourd’hui clarifiée et nous permet de dire que sur ces 725, 127 ont été tués à Souge soit 18%, 50 en 1941 et 77 en 1942. Les deux autres centres importants de fusillades d’ »otages » sont le Mont Valérien et Châteaubriant.

La « politique des otages » répond à une situation précise : mi 1941 le PCF clandestin décide de passer à la guérilla armée et tant à Paris qu’en province des attentats contre des militaires allemands sont engagés. Le 15 septembre 1941, un décret du Maréchal Keitel (collaborateur direct de Hitler) décide une répression très organisée et ciblée définie autour du « code des otages », et de procédures spécifiques engageant les plus hautes autorités nazi, la Wehrmacht mais aussi la police française. Bien sûr cette législation est mise en place hors de tous droits, hors des règles de la guerre et de la convention de La Haye.

Ce code classe ceux qui seront prioritairement inscrits sur des listes, les auteurs supposés des attentats, les distributeurs de tracts, ceux  qui sont suspectés  d’agir et de manifester contre la présence allemande notamment et le Maréchal Keitel de préciser dans son décret : » Dans tous les cas de révolte contre les forces d’occupation allemandes, il y a lieu, quelles que puissent être les conditions particulières, de conclure à des origines communistes. » Il précise aussi que pour un allemand tué, de 50 à100 otages seront fusillés. 3 critères sont définis : les otages doivent être déjà détenus, il n’ y aura aucun rapport entre l’otage et l’évènement générateur et il n’y aura pas de jugement.

Quelles sont ensuite les procédures de désignation ? Suite à un ou à des attentats, le commandant militaire allemand en France décide à son initiative et/ou sur demande de Berlin d’un nombre de fusillés (négocié entre ces deux autorités) en fonction du nombre d’allemands abattus ou blessés et propose des lieux de fusillades. Les autorités locales allemandes envoient à Paris les dossiers des supposés fauteurs de troubles choisis par eux mêmes et par la police de Vichy et c’est le commandant en chef de la Wehrmacht en France qui arrête la liste, en appliquant la doctrine de glisser quelques gaullistes avec les communistes dans les listes en 1941, et quelques non-communistes et des juifs à partir de début 1942.

Ainsi 77 otages sont fusillés à Souge en 1942 :

  • en représailles d’un attentat commis au Havre le 2/04/42, 15 otages sont fusillés entre le 11/ et le 25/4 dans 3 lieux différents, dont Maurice Lambert, à Souge le 14/04. La note adressée à la Délégation Générale du Gouvernement Français dans les Territoires Occupés le qualifie de, je cite « nC : non communiste autre que gaulliste, ou non déterminé ».
  • en représailles d’un attentat contre un train de permissionnaires allemands à Caen le 16 avril 1942, les 5 propagandistes communistes du groupe dit des postiers (Claude Bouvard, François Boucherie, Jean Monède, Clément Corbière, André Guérin) sont fusillés le 30 avril, en même temps que 19 autres abattus dans 7 autres lieux en France.
  • en représailles d’un attentat à Saint-Aubin lès Elboeuf le 2/05/42, Jean Piot, non communiste également, est fusillé à Souge le 16 mai avec 19 autres dans 5 lieux différents.
  • enfin et là l’histoire est davantage connue, le 21 septembre 1942, 70 résistants girondins et charentais sont fusillés à Souge en représailles d’un attentat contre un cinéma à Paris, dont là de nombreux communistes mais aussi socialistes et/ou sans parti, souvent militants syndicaux de la CGT dont de nombreux salariés de la SNCASO, de l’AIA, des PTT, de la SNCF, des TEOB ou de l’entreprise de meubles et menuiseries Harribey.

 

Mais début 1943, sans aucun doute parce que cette politique est appréciée comme contreproductive et que les allemands ont besoin de main d’œuvre, des listes d’otages  « déportables », et non plus « fusillables » apparaissent. C’est ainsi que notre ancien président Jo Durou, classé otage et individu dangereux comme d’autres militants au Centre de Séjour Surveillé de  Mérignac-Beaudésert sera d’abord envoyé au Fort du Hâ, puis déporté à Sachsenhausen. C’est aussi l’accélération des déportations de juifs.

Hormis à l’Est de l’Europe où elle fut menée à grande échelle, cette politique des otages a été une particularité française, et s’explique par une réalité nationale spécifique, avec un combat idéologique très fort, une guérilla bien réelle, un régime de Vichy acquis au nazisme, une collaboration qu’il fallait ménager et à qui  il était utile de donner des gages.

Même si le contexte a quelque peu changé, ces enjeux idéologiques sont toujours prégnants dans notre société, et le travail de mémoire pour s’opposer au racisme, à l’anti sémitisme, à toutes les exclusions, à toutes les procédures mettant en cause les droits humains et la démocratie, reste d’actualité pour notre association, et je le crois facilement, pour vous tous ici également, et au nom de nos fusillés et de leurs familles je vous en remercie.

Enfin vous avez remarqué, fixés sur les stèles (en verre et donc non modifiables) de petits panneaux, pour rendre aux fusillés, suites aux nombreuses recherches et aux contacts avec les descendants depuis la construction du Mémorial en 1998, leur véritable identité, leurs vrai nom et prénom et/ou âge. Nous leur devions bien cela à eux ainsi qu’à leurs familles.

Nous sommes à nouveau confrontés à la guerre. En Ukraine et ailleurs, des peuples souffrent et en sont victimes. Et face aussi au retour des idées nauséabondes, continuons notre lutte commune pour la paix, poursuivons notre travail de construction d’un vivre ensemble fait de liberté, d’égalité et de fraternité.