Une journée pas comme les autres, 24 octobre 2021

Une journée pas comme les autres

Discours  du bureau de l’Association du Souvenir des Fusillés de Souge par Dominique MAZON

Je souhaite avant toute chose m’associer aux remerciements adressés à chacun par Jacques Padie au nom de notre Association. Merci aux représentants de l’État, de l’armée, aux élus, familles, organisations et individuels ainsi qu’à celles et ceux qui contribuent à l’organisation et au déroulement de cette cérémonie.
Il y a 81 ans, en août et en décembre, deux hommes tombèrent ici : Israël Karp et Lucien Mourgues.
Il y a eu 80 ans hier, Pierre Lérein, 20 ans, a été fusillé dans ce camp et inhumé à Martignas.
Il y a 80 ans, aujourd’hui-même le 24 octobre 1941, ils furent 50 à payer de leur vie leur engagement contre l’occupant …

Peu à peu, la France, frappée de stupeur par la défaite militaire et l’envahissement, se remettait en mouvement.
Les premières oppositions individuelles se fédéraient en mouvements. Oh ! Encore peu de choses : les balbutiements de la lutte pour la Libération.
Mais l’imagination ne manquait pas : certains tentaient de partir pour répondre à l’appel de de Gaulle, d’autres relevaient les plans des installations allemandes pour les transmettre à Londres, les communistes dont certains étaient internés depuis novembre 1940, se réorganisaient. Ceux qui étaient libres ronéotant et diffusant des tracts, ceux qui ne l’étaient pas créant dans l’enceinte du camp de Mérignac ce qu’ils appelaient « l’Organisation Spéciale ».
Puis les premiers attentats ont commencé.
À Nantes, puis à Bordeaux.
L’occupant nazi n’a pas tardé à présenter la note en appliquant une ordonnance de Keitel mettant en place la politique des otages : pour 1 allemand tué, 50 hommes seraient fusillés.
Le 22 octobre, 48 hommes en seront les victimes à Châteaubriant, Nantes, et au Mont Valérien.
À Bordeaux, suite à l’exécution d’un conseiller militaire sur les boulevards, le 21 octobre, les allemands vont sélectionner 50 noms dans des listes établies selon leurs exigences, en application de l’ordonnance Keitel, par la Préfecture.
Ainsi est-il précisé dans une note du 15 octobre 1941 :
…sont à considérer comme otages :
1°- Tous les français détenus de quelque façon que ce soit par les services français en France pour les services allemands. Sont compris :
a)          tous les Français se trouvant détenus de quelque façon que ce soit par les services français à cause de leur activité communiste ou anarchiste.
b)          Tous les Français contre lesquels à la demande des Tribunaux de l’Armée allemande sont prononcées des peines de détention par les autorités répressives françaises.
c)          Tous les Français qui, à la demande des autorités allemandes sont arrêtés par les autorités françaises et maintenus en détention, ou sont remis aux autorités françaises par les autorités allemandes avec l’ordre de les maintenir en détention.
2°- les habitants apatrides, qui habitent en France depuis longtemps et qui tombent dans l’un des groupes a) b) c).
Le lendemain le directeur du camp rédigeait une note dont le contenu strictement administratif nous choque car il s’agit en fait de vies humaines. Ce texte figure sur le cheminement, vous pouvez le consulter dans sa froideur narrative.
Heure d’exécution 9h pour tous : les 35 de Mérignac et les 15 extraits du Fort du Hâ, gaullistes et communistes, pour que le compte soit exact.
Mais vous le savez, à Souge comme dans le reste du pays, ce n’était qu’un début.
Les fusillades ne vont plus cesser, un par un, ou par groupe.
Ceux qui sont visés, ce sont ceux qui appartiennent à la Résistance dans toute sa diversité, Résistance qui sans être le fait de toute la population s’étend ; de gestes individuels à la si dangereuse participation aux mouvements, quels qu’ils soient.
En 1942, 99 patriotes seront exécutés dans cette enceinte.
En 1943, la solution sera différente, la nécessité de renforcer les fronts, née du débarquement allié en Afrique du Nord, de la libération de la Corse et de la victoire soviétique à Stalingrad entrainera l’envoi des résistants dans des camps où ils devaient travailler si besoin était jusqu’à l’épuisement et la mort.
Deux hommes seront cependant exécutés ici.
Le nazisme n’a pas baissé la garde.
Depuis 1942, la déportation des « indésirables » a commencé. Et va se poursuivre jusqu’à mi-44.
Les indésirables ? Les juifs, dont 6 millions seront exterminés, les tziganes, les espagnols, les homosexuels, les handicapés et tous les opposants : communistes, socialistes, gaullistes, sans parti etc.
L’élimination physique va viser tous les opposants.
Hommes et femmes.
Georgette Bret, Germaine Cantelaube, Noémie Durand, Marcelle Girard et Marie Thérèse Puyoou veuves ou soeur d’un fusillé du 24 octobre, arrêtées pour activité résistante décéderont en déportation.
Durant l’année 43, les polices française et allemande vont pourchasser les opposants.
Et 1944 sera l’année la plus meurtrière à Souge. 102 fusillés.
Ces hommes avaient pris une décision : ne pas rester sur le côté en attendant que des jours meilleurs arrivent comme par enchantement.
Ils s’étaient engagés. On ne peut pourtant pas dire qu’ils étaient tous sur la même longueur d’onde !
On trouve Jean Chauvignat, militant communiste, ancien des brigades internationales ou Louis Guichard, gaulliste, étudiant à Montaigne.
En 1942, Pierre Crassat du réseau Jove, policier stagiaire, franc-maçon, travaillant pour Londres côtoie Gabriel Fleuraux, ébéniste, militant communiste, chef de son groupe FTP.
En 1944, Pierre Wiehn, du réseau Honneur et Patrie, qui voulait devenir prêtre subira le même sort que Charles Bochard, le rugbyman FTP jurassien ou Giusto Carione, l’ouvrier polisseur italien, FTP aussi.
Engagés aussi, les frères Haym et Aspis, jeunes juifs, réfugiés en Dordogne qui aidaient la Résistance locale.
Le 1°Août avec ses 48 exécutions va être le reflet de cette France en lutte.
Et pourtant il n’était pas facile de s’engager dans la lutte de libération, et de s’engager auprès « d’autres » et avec « d’autres » dont les valeurs sont différentes.
Il n’est jamais facile de s’engager.
Nous nous souvenons toujours du texte du pasteur Martin Niemöller, déporté à Sachsenhausen et à Dachau :
« Quand les nazis sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas communiste
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas syndicaliste
Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas juif
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas catholique
Et, puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait plus personne pour protester ».

S’engager, cela n’est pas facile mais c’est essentiel pour la vie sociale et la démocratie.
Il ne suffit pas de tempêter contre ce qui déplait et de se mettre sur le côté.
On a vu, à l’époque que ce qui a permis la victoire c’est le soulèvement d’un peuple, son rejet des racismes, des politiques de boucs émissaires, d’exclusion, de domination.
Pour elles et eux la question n’était pas de se draper dans l’étendard bleu-blanc-rouge, mais de lui redonner tout son sens dans une France ouverte et diverse.
Rester sur le côté, aujourd’hui encore c’est courir le risque de voir à nouveau se répandre les puanteurs de la xénophobie et du rejet.
Familles, amis, héritiers de ceux qui sont morts ici, notre devoir est de ne jamais s’abstenir de raconter, d’agir, de participer pour que ne renaissent pas les exclusions, pour la Liberté.
Merci à eux.