Discours du bureau de l’Association du Souvenir des Fusillés de Souge par Jean Lavie.
L’objectif de notre cérémonie annuelle, ici, devant ces bûchers, est de rendre hommage aux 256 victimes des nazis fusillées dans ce camp de Souge entre le 27 août 1940 et le 1er août 1944. Victimes identifiées et honorées, dans toutes leurs diversités, de nationalités, d’âges, d’origines géographiques, professionnelles, idéologiques, d’engagements et d’actions dans la Résistance face à l’envahisseur et au gouvernement de Vichy.
2016 est le 75ème anniversaire de la 1ère fusillade massive, le 24 octobre 1941 où tout près d’ici, dans ce que nous appelons la 1ère enceinte, 50 corps de fusillés ont été enfouis dans une fosse commune, pendant 3 trois ans, avant que les familles ne soient invitées à venir reconnaître les leurs à l’automne 1944. Un hommage sera rendu tout à l’heure sur ce premier site de fusillades et chacun est invité à y participer.
Si au fil des cérémonies annuelles du cycle du 70ème anniversaire nous avons évoqué chaque fusillade, l’identité, les engagements divers et multiples, les actions de ces patriotes résistants, nous vous proposons cette année, d’évoquer la nature des décisions allemandes qui ont conduit les victimes au poteau. Notre tâche, en effet, nous paraît être, outre de rendre hommage aux fusillés, de faire mieux connaître cette période et de faire mesurer ce qu’une société est à même de produire si elle s’écarte de l’humanité et des valeurs qui s’y rapportent.
A notre connaissance car les recherches continuent, on peut distinguer trois types de décisions : la désignation d’otages, les condamnations du tribunal allemand, les fusillés sans jugement sur décision d’une autorité pas toujours identifiée.
S’agissant des otages replongeons-nous dans le contexte.
Nous sommes au début de l’été 1941, les premières hésitations et les premières difficultés d’organisation de la Résistance sont dépassées, les mouvements de Résistance, d’essence, patriotique, gaulliste, socialiste, catholique, anglaise, font plutôt de la propagande et du renseignement, les communistes en appellent plutôt à la propagande et au harcèlement contre les installations et les soldats allemands, les juifs déjà recensés pourchassés, déportés, étant présents dans tous ces mouvements.
Après plusieurs escarmouches début août, l’aspirant de la Kriegsmarine Moser est abattu le 21 août dans le métro parisien, par celui qui deviendra le colonel Fabien de l’Organisation Spéciale. Hitler demande des représailles mais estimant que ses représentants parisiens ne vont pas assez loin, édicte, sous la signature du Maréchal Keitel, la politique et le « code » des otages. Pour un soldat allemand tué, 50 à 100 otages seront fusillés. De son côté, Vichy, par un décret publié au Journal officiel le 23 août 1941, crée les Sections Spéciales. Ce sont des tribunaux bafouant tous les droits des accusés, et ayant pour objectif unique de réprimer « les activités communistes et anarchistes » comme le précise l’article 1 du dit décret.
125 otages ont été fusillés à Souge soit quasiment 50% du total des victimes, à trois moments différents.
50 le seront le 24 octobre 1941, en représailles de l’assassinat de l’officier allemand Reimers à Bordeaux, les 5 du groupe dit « des postiers » le seront le 30 avril 1942 en représailles d’un attentat contre un train de permissionnaires allemands à Caen, 70 le seront le 21 septembre 1942, en représailles de l’attentat contre le cinéma le Rex à Paris, Paris ne disposant pas, à ce moment là, à Romainville, d’un nombre suffisant d’internés.
La confection des listes répond aux consignes du « code » des otages : les premiers responsables du parti communiste d’abord mais aussi les distributeurs de tracts quels qu’ils soient. Ce sont les allemands qui fixent la liste des sacrifiés, détenus soit à Mérignac Beaudésert, soit au Fort du Hâ, mais sur proposition de la police de Vichy. Ce qui fera dire au commissaire Poinsot : « Si c’était moi qui avait arrêté la liste certains n’y auraient pas été, mais d’autres oui ». Ainsi, détenus à l’origine pour délit d’opinion, parfois supposé, internés sans charges réelles, sans être condamnés, ils ont été fusillés. Remarquons également le choix des allemands d’intégrer dans la liste autour d’une majorité de communistes, des gaullistes et au moins un jeune connu pour son appartenance à la jeunesse socialiste et ce afin d’atteindre toutes les Résistances. Le compte-rendu d’exécution du 21 septembre 1942, publié en français sur notre site, montre bien que ces hommes savaient ce qui les attendait quand on leur a donné du papier et un crayon pour écrire une dernière lettre à leur famille.
Mais la politique des otages mise en œuvre pour faire peur à la population ne produit pas l’effet escompté et elle sera abandonnée fin 1942. Cela ne va pas pour autant signifier un arrêt des massacres, mais, dorénavant, et en 1944 en particulier, ils seront moins « médiatisés, comme l’on dit aujourd’hui.
S’agissant des condamnés par le tribunal allemand à Bordeaux K 529 mais aussi par celui de La Rochelle déplacé à Bordeaux début 1944, nous en dénombrons 77.
Les allemands ayant emporté ou brulé nombre de leurs archives nous disposons de peu d’informations sur celles-ci, tout au plus connaît-on le motif de la condamnation car celui-ci était communiqué aux autorités françaises.
Pour un tiers d’entre eux ce sont des condamnations individuelles pour possession d’armes, et/ou activités anti-allemandes (Israël Karp notamment) ou plus précisément de résistance qualifiée quelquefois de « franc-tireur ».
Pour les groupes les informations sont plus précises. Les six des Services Spéciaux de la Défense Nationale et les quatre du réseau Jove liés à l’Intelligence Service sont condamnés pour espionnage, les six soviétiques le sont pour rébellion.
Pour le groupe de Charente Maritime Honneur et Patrie, lié à l’OCM et à Libération Nord, 20 fusillés le 11 janvier 1944 et 1 le 1er février. Le témoignage de l’avocat des victimes permet de rappeler les tortures auxquelles elles ont été soumises et la parodie de procès, sans droits pour les prévenus, pieds et mains liés durant celui-ci.
Pour les 17 fusillés du groupe FTP Bourgois, c’est un écho de presse publié le 20 février 1944 qui nous indique les motifs de condamnation. Ils ont :
« assassiné une sentinelle allemande, mis le feu à des logements de soldats, commis des attentats contre les chemins de fer de la région ».
Enfin s’agissant des 54 fusillés conduits au poteau sans jugement ou autre décision que celle d’un officier allemand, on compte, les 7 israélites ramenés de Dordogne et les 47 victimes de la fusillade du 1er août 1944. Cette fusillade dont on ne sait pas encore qui en a été l’instigateur et qui avait dû être reportée du 31 juillet au 1 er août, le peloton d’exécution du 31 juillet ayant refusé d’obtempérer au prétexte de ne pas connaître l’autorité ordonnatrice.
En conclusion, en cette période où l’idéologie du rejet de tout ce qui est différent nourrit de sombres desseins et cache souvent une absence de volonté de s’attaquer aux vrais conditions économiques et sociales de construction « du vivre ensemble », sachez que notre association, dans toute sa diversité, convaincue que le travail de mémoire éclaire l’avenir, inlassablement poursuit son action. Elle le fait ces jours-ci en présentant sa nouvelle exposition que vous avez pu remarquer à l’entrée du Mémorial. Cette exposition, sous une forme modernisée, répond à notre volonté d’honorer tous les fusillés. Mais au delà de notre travail de recherche, celle-ci, ainsi que la rénovation de notre site n’ont pu être montés et réalisés que grâce à l’engagement financier d’élus et de collectivités. Qu’il nous soit permis très solennellement de remercier ici, particulièrement, Mme Récalde, Mr Anziani et le conseil municipal de Mérignac, le Conseil Régional d’Aquitaine, et aussi, le Conseil Départemental de la Gironde, ainsi que les municipalités de Bordeaux, Bègles, Lormont, Eysines, Le Haillan, Saint Médard en Jalles, Villenave d’Ornon, et Floirac.
Nous tenons cette exposition à disposition et comptons sur vous tous pour nous aider à la présenter dans un maximum de lieux, et ainsi faire encore mieux connaître l’histoire des fusillés de Souge et faire réfléchir chacun aux exigences de la construction d’un avenir, où tous, dans leurs différences, pourraient vivre en paix.
Merci de votre attention.
