Discours du bureau de l’Association du Souvenir des Fusillés de Souge par Dominique MAZON
Le cycle des commémorations du 70ème anniversaire des fusillades 1940-1944 s’achève.
Comme prévu, la publication du livre « Les 256 de Souge », dans la lignée des Hommages aux victimes de 41 et 42, écrits par Georges Durou et Henri Chassaing en 1990, donne des biographies, complétées ou nouvelles, pour la très grande majorité des fusillés.
Ce long travail de recherche et de rédaction, réalisé collectivement par des animateurs du comité, donne à notre association une ambition nouvelle pour le travail de mémoire.
En effet la vision plus complète de leur histoire nous permet d’être l’Association du Souvenir de tous les fusillés, tant leurs parcours sont singuliers, et nous situent dans les différentes périodes de la guerre.
L’histoire d’Israël Karp ou de Lucien Mourgues indique bien que dès leur arrivée les allemands voulaient signifier à la population qu’ils ne tolèreraient aucune contestation de leur autorité.
La répression des communistes, (qui représenteront un peu plus de 50% des fusillés), par Vichy d’abord, avec la reconstitution des fichiers, les perquisitions, les arrestations, les internements à Bacalan puis à Mérignac sont également une première phase.
La politique des otages et les fusillades de 41 et 42 sont une suite meurtrière.
La directive allemande d’adjoindre aux communistes inscrits sur la liste en préparation avant le 24 octobre 41 quelques gaullistes des réseaux « Alliances pour la jeunesse » a également du sens, comme en 42 de cibler la recherche de résistants et patriotes dans les entreprises de l’aéronautique en pourchassant les communistes faisant du recrutement, de la propagande, collectant des armes, appelant au sabotage, et des gaullistes et socialistes collectant plans et renseignements divers à l’AIA ou à la SNCASO pour les envoyer à Londres.
Toujours en 42 les fusillades des père et fils Jacob du réseau Jove en liaison radio avec l’Intelligence Service, ou celle du réseau Kléber, Vénus, Chabor, réseau des Services Secrets de la Défense Nationale où sont engagés plusieurs amis chrétiens montrent bien le développement de la Résistance organisée. Mais le 21 septembre et les 70 victimes signifient que Dhose, Poinsot et leurs sbires ne restent pas non plus inactifs.
L’an dernier, nous avons évoqué l’année 43, la résistance décapitée puis reconstituée, et les évènements marquants comme la fin de la politique des otages, le STO, l’accélération de la déportation des juifs et des résistants, et l’espoir nourri de la victoire de Stalingrad, de l’intervention des Etats Unis en Afrique du Nord ainsi que la libération de la Corse ou la réunification de la CGT ou encore la mise en place du CNR.
Parce que leurs arrestations dataient de l’automne 43 nous avions aussi abordé les actions et particularités du groupe charentais Honneur et Patrie dont les membres appartenaient à l’OCM et à Libération Nord, et celles du groupe FTP Bourgois ainsi que leur passage par les armes, les 11 janvier et 26 janvier 44.
102 résistants sont fusillés durant les 8 premiers mois de l’année 1944.
La diversité est sans aucun doute la caractéristique à retenir : diversité, des mouvements concernés, des territoires d’intervention de la police et/ou des allemands, des origines géographiques des résistants et plus particulièrement des responsables qui « ne tenaient pas plus de trois mois », diversité enfin de nationalités des combattants. C’est l’année aussi où subsiste le plus d’inconnues, sur l’identité des victimes, sur les dates d’exécution, sur les autorités les ayant ordonnées, sur les motifs des décisions allemandes.
Après les fusillades de janvier déjà évoquées, et celles de plusieurs isolés, le 19 avril, 7 israélites (ils sont ainsi désignés sur les listes) réfugiés en Dordogne feront les frais d’un acharnement explicable seulement par le fait qu’ils sont juifs.
Le 9 mai ce sont six soviétiques incorporés dans l’armée allemande qui sont exécutés pour avoir fomenté une attaque contre des sous-officiers allemands. 7 autres de leurs camarades seront fusillés à Soulac, lieu de leur cantonnement.
Enfin la dernière fusillade est celle du 1er août.
Sur les 47 fusillés honorés, 14 venaient de la prison de Bergerac. Les allemands sont acculés et particulièrement sauvages dans leurs réactions, à Prigonrieux et dans la forêt de la Double notamment, où les maquis et certains villages sont « nettoyés », avec là aussi l’aide de Poinsot, qui se promenait dans la zone une liste de résistants recherchés à la main.
Le Corps Franc de Libération Marc, Lucien Nouhaux est reconnu comme très actif en Gironde au printemps 44 mais infiltrations et imprudences auront raison de son organisation et du courage de ses membres. La commune d’Eysines et l’association autour de la famille Baudon dont la maison cachait les armes honorent régulièrement les six fusillés du groupe.
D’autres maquis de la région vont subir la loi de rapports des forces disproportionnés. 3 000 soldats allemands (Wehrmacht et SS), aidés de miliciens attaquent le maquis de Vignes Oudides dans le Médoc le 25 juillet 44. Une hécatombe, dont 6 fusillés ici. Deux d’entre eux avaient rejoint le maquis la veille de l’attaque. Deux jeunes, rejoignant le maquis de la Ferme de Richemont à Saucats pour l’un d’entre eux, circulant dans la contrée pour l’autre, subiront le même sort que leurs 12 camarades sacrifiés sur le site. Serge Duhourquet sera, lui, pris dans un maquis landais.
Enfin autre particularité notable, l’histoire des « Dix du train fantôme ».
Parti de Toulouse le 3 juillet 44, ce train, chargé d’environ 650 résistants français et étrangers, arrivera à Dachau le 29 août, Dachau où il déposera 473 hommes avant de continuer vers Ravensbrück où 63 femmes arriveront le 1er septembre, et ce, après avoir été bombardé, détourné, stoppé, perdu, caché, retrouvé. Lors de son périple, le Train fantôme, sera vidé à Bordeaux, le 9 juillet. Ses déportés seront entassés à la synagogue pour les hommes et à la caserne Boudet pour les femmes. Pour des raisons encore mal connues, 10 d’entre eux (pourquoi ces dix, nul ne le sait encore), complèteront la liste des fusillés le 1er août. Parmi ces dix on retrouvera des républicains espagnols venant peut-être du camp d’internement du Vernet, Robert Borios, inspecteur de Police à Foix et engagé dans le Corps Franc Pommiès, Albert Lautman philosophe, devenu militaire hors pair, chef d’un réseau de l’Armée Secrète, Litman Nadler, étudiant roumain émigré à Toulouse, appelé Docteur Madeleine, appartenant au Mouvement de Libération Nationale, Noël Peyrevidal, militant SFIO, au croisement de divers mouvements de résistance en Ariège, assurant de nombreux passages en Espagne. Le 14 juillet 1944, à la synagogue, il prononcera, à l’insu de ses geôliers, un discours pour affirmer sa foi en la victoire finale et remonter le moral de ses camarades. Le plus jeune de ce groupe, Meyer Rosner, 18 ans, est un jeune étudiant juif parisien, réfugié dans le Gers avec ses parents, engagé comme agent de liaison à bicyclette dans les FTP.
Le même jour, André Levy, résistant sous les ordres de Pierre de Bénouville puis Henri Frenay, sera fusillé sous le nom de Bernard Bonduel.
Mais tout cela nous n’aurions pas pu le dire et l’écrire sans la présence forte des familles de fusillés qui nous permet de conserver l’approche humaine indispensable à tout travail de mémoire. Parler d’un père, d’un grand père, d’un frère, d’un oncle, d’un membre de son parti, d’un adhérent de son syndicat, d’un salarié de son entreprise, d’un voisin, d’un membre de sa communauté, donne à l’appropriation de l’histoire, cette approche humaine complémentaire à l’apport scolaire, car la guerre, ce n’est pas seulement, la télévision, les tanks ou les leaders, ce sont aussi les émotions, les larmes que l’on voit monter quelquefois, lors des visites du Mémorial par les proches des victimes ou par les lycéens et collégiens.
Forte des éléments dorénavant à notre disposition sur la vie et la mort des fusillés, notre association, pour atteindre l’ambition d’être l’Association de tous les fusillés, a besoin de vous tous. Besoin des institutions pour aider à notre rayonnement et au financement de nos projets, besoin des familles, des militants, pour continuer les recherches, construire les nouveaux supports portant nos objectifs, besoin des enseignants pour favoriser nos contacts avec la jeunesse et trouver la pédagogie adaptée au 21ème siècle.
Ainsi nous apporterons collectivement quelques éléments de réflexions utiles à notre société qui en a bien besoin.
Comme l’a dit notre Président Georges Durou dans sa conclusion du livre que je vous invite à lire et à diffuser : « Le monde toujours en construction doit garantir, organiser, le respect de tous les êtres humains, de leurs idées, de leurs engagements, de leurs cultures. Le « Vivre Ensemble » sera la résultante de ce choix et des pratiques concrètes qui le mettent en œuvre.
Merci.
