Discours du bureau de l’Association par Dominique MAZON, le 22 octobre 2017

Merci de leur présence au représentant du préfet, au représentant du Général officier général de la zone Sud-ouest, aux élus de la République, à l’ensemble des autorités civiles, militaires  et religieuses, aux associations mémorielles, aux composantes de l’association,  à l’état-major de garnison de Bordeaux, au 13ième RDP, à Mr le maire de Martignas  et au personnel municipal, à la mairie de Bordeaux pour le prêt important de matériel, à mesdames et messieurs les portes drapeaux, à la croix rouge, aux musiciens qui nous ont accueillis, aux amis de l’Ormée qui procéderont à l’appel aux morts et à la garde d’honneur des jeunesses communistes, aux bénévoles qui ont aidé à la préparation.

Merci aussi aux familles de fusillés, aux citoyens qui par leur fidèle présence entretiennent le souvenir.

La question nous est régulièrement posée de l’objectif et de l’intérêt de continuer à travers l’activité de notre Association et notamment les cérémonies organisées depuis 1944, à faire connaitre Souge et à rendre hommage aux fusillés. Aussi, cette année, avons-nous choisi de proposer quelques réponses.

Notre, votre présence à toutes et tous, chaque année, témoignent d’une volonté commune, celle de rendre hommage à ceux qui sont morts en combattant pour libérer notre pays de l’occupation. Volonté des familles éprouvées, des enfants meurtris par la mort du père et parfois des deux parents, mais aussi volonté des citoyens de ne pas laisser tomber dans l’oubli ces années et leur combat.

Ce combat victorieux fait de nous des femmes et des hommes libres. Notre gratitude est immense.

Gratitude car nombre d’entre eux ont exprimé le sens de leur lutte, souvent dans leur dernière lettre. En voici quelques exemples :

Ainsi Pierre Gemin, « Dites-vous que votre Pierrot est mort pour une grande et noble cause et que cela n’a pas été inutile. Il le savait en mourant. » ou Pierre Wiehn « Je vous demande pardon, chers papa et maman de la peine que je vous fais et vous embrasse bien fort tous les trois … Vive la France », ou Alain Domecq « Ne crois pas que je quitte la vie avec désespoir…. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait. En mon âme et conscience je crois avoir agi selon mon devoir d’homme », ou enfin René Migeot « Et vous tous, chers camarades, continuez l’œuvre entreprise, nous vous passons le flambeau, il est je suis sûr en bonnes mains ».

Au-delà de leur très grande diversité de personnalité, d’engagement, de convictions, leur but commun était la libération de leur pays.

Ce qui les avait conduits là remontait aux périodes antérieures, quand la guerre, la pauvreté, le chômage de masse avaient ébranlé les sociétés dans lesquelles ils vivaient et jeté dans les bras des extrêmes droites des millions de personnes Des régimes fascistes s’étaient alors mis en place en Italie, en Espagne, au Portugal. Malheureusement, on retrouve de nos jours bien des composantes de ce piège.

La volonté de domination, aujourd’hui encore, au XXI° siècle perdure. Les moyens de domination étaient et sont toujours multiples.

Le racisme et le mythe du bouc émissaire avaient rendu  des peuples entiers coupables de leur sort. Mais comment peut-on penser qu’un être humain, qu’un peuple ou qu’une communauté soit supérieure ou inférieure ? Les nazis ont condamné les juifs, les tziganes, souvent les noirs, les désignant comme responsables de tous les maux. Certains d’entre eux, fuyant leur pays s’étaient réfugiés dans un pays d’accueil. Et la France était alors un pays d’accueil, malgré les difficultés du moment.

Adossé à ces préjugés, se trouve le rejet de l’autre, de celui qui ne vit « pas comme il faut ». Bien des minorités en ont payé le prix, des tziganes aux homosexuels. Alors que la richesse des sociétés repose précisément sur la diversité et sur la tolérance. Quoi de plus dangereux que l’uniformisation de la pensée, de la manière de vivre ? Peut-on imaginer ce que nous serions si nous ne pouvions disposer de la diversité de pensées, parfois contradictoires, des générations précédentes  comme de notre génération actuelle ?

Pour imposer leur idéologie, les nazis ont éliminé ou tenté d’éliminer ceux qui représentaient la culture, l’indépendance d’esprit, la démocratie, ou exprimaient simplement une idée politique différente de la leur. La traque des communistes en est un exemple. Les « autodafé » gigantesques de 1933 brûlant dans un même enthousiasme les livres de Bertolt Brecht, Erich Maria Remarque, Freud, Alfred Döblin, Erich Kästner, Heinrich Mann, Karl Marx ou Stefan Zweig et bien d’autres se voulaient être « une action contre l’esprit non allemand ». Cela appartient encore à l’actualité du monde. Nous en sommes protégés en France en partie parce que les hommes que nous honorons aujourd’hui, comme d’autres, sont morts pour éradiquer les risques que faisait peser l’idéologie nazie mais aussi parce que, collectivement nous avons de la mémoire et nous entretenons cette mémoire afin que quiconque voudrait nous asservir se retrouve en échec.

Une autre dimension de la domination mise en place par les nazis est la domination économique à travers la mise en coupe réglée des pays occupés et l’asservissement des peuples par le travail. La déportation de millions d’hommes, de femmes et d’enfants et leur extermination immédiate, ou repoussée au moment où ils n’avaient plus la force de travailler, fut érigée en système.

Comme dans les années noires et celles qui ont précédé, le défaut de vigilance est un danger. Les tenants du pouvoir économique et politique tentaient la plupart du temps de transiger allant jusqu’à collaborer plutôt que de stopper ce dangereux mouvement. Nous devons en permanence veiller à ce que ne se reproduise pas ce que l’on peut qualifier de politique de l’autruche.

C’est bien là que réside notre rôle : faire savoir ce qui a eu lieu pour empêcher la réactivation de ces idées.

C’est pour cela que chaque année nous sommes là, mais aussi que nous nous efforçons de diffuser largement notre exposition, dans tous les lieux publics qui nous invitent. Nous faisons d’ailleurs appel à chacun d’entre vous : l’exposition peut être présentée dans les mairies, les collectivités, comme elle va l’être dans le hall de la Métropole, les salles de quartier, les établissements scolaires, les médiathèques…

C’est aussi pour cela que nous accueillons sur ce site, tout au long de l’année les groupes qui nous le demandent et singulièrement les jeunes. Nous participons au rallye citoyen organisé par l’armée et l’Éducation Nationale mais aussi au projet « chant d’action » mis en œuvre chaque année par l’équipe de la Délégation académique à l’éducation artistique et culturelle du rectorat que nous remercions particulièrement. En janvier et février une dizaine de classes et deux cent cinquante à trois cent élèves consacrent une journée au thème de la guerre 39/45 en visitant successivement Souge, la base sous-marine, l’ancien consulat du Portugal afin de faire connaitre l’histoire de Sousa-Mendes, pour finir au musée Jean Moulin. Puis, avec leurs professeurs ils composent un « chant d’action ».

Les hommes que nous honorons méritent bien le souvenir et les hommages que nous leur rendons.

Pensons qu’il en fallait du courage aux ouvriers de l’AIA et de la SNCASO pour saboter les pièces d’avions, répondant à un tract de la Résistance qui disait « chaque pièce sabotée, chaque minute de travail perdue sauvera une vie humaine ».

Il en fallait du courage pour prendre la parole comme l’a fait Gabriel Geneste alors que les allemands avaient un bureau dans l’usine.

Des familles entières s’engageaient, les uns dans la lutte armée, les autres dans la cache de Résistants comme les Castéra ou dans l’entreposage des armes comme les Guillon. D’autres comme les Lisiack dont le jeune fils transportait des messages dans le guidon de son vélo.

Souvent durement torturés, ils tentaient de tenir quelques heures, quelques jours, selon les consignes qu’ils avaient reçues pour permettre à leur groupe de se réorganiser.

Il en fallait du courage et de l’abnégation à Pierre et Yvonne Baudon pour attendre l’arrivée du camion qui devait transporter les armes stockées chez eux, alors qu’ils savaient l’arrivée des occupants imminente.

Il en fallait du courage et de l’abnégation à Serge Dejean pour conseiller à son père de rester auprès de sa femme et de son jeune fils, tandis que lui, le frère ainé rejoindrait la Résistance.

Il en fallait de la conviction à Pierre Borios, inspecteur de police dans l’Ariège pour profiter de ses déplacements pour transporter des armes.

Il en fallait aussi aux jeunes des maquis de Dordogne, les frères Aspis et Haym, ceux du

maquis de Vigne-Oudides : Desblaches, Lafon ou Porthier, ceux des FTP des Landes Duhourquet ou Dubos.

Et n’en fallait-il pas aux étrangers engagés aux côtés des français, notamment les républicains espagnols qui avaient fui la répression franquiste?

Ces quelques noms sont des illustrations au milieu des 256. Nous en citerons bien d’autres au fil des années.

Car on touche ici à une autre caractéristique de cette guerre à transmettre : l’existence d’une Résistance extérieure et intérieure, l’implication de la population dans toute sa diversité. Des communistes, des gaullistes, des socialistes des sans partis, des hommes de droite, parfois anciens maréchalistes, malgré leurs divisions, se sont retrouvés dans un combat commun.

La Libération du pays, c’est aussi en partie l’œuvre de son peuple. La création du CNR, l’élaboration de son programme c’est la représentation de la force qui les poussait. André Levy, autre exemple, envoyé par Frenay, est venu d’Alger pour assurer la liaison avec le CNR et les mouvements composants.

Alors, oui, nous souvenant de leur vie, du monde dans lequel ils vivaient, du danger des idéologies racistes et de domination, de l’engagement de ces hommes pour que leurs enfants vivent libres, nous pensons que nous devons continuer à faire connaitre l’Histoire, à entretenir ce lieu et honorer ceux qui y sont morts