À lire dans Textes divers ci-dessous :

  • « Prise Ă  la course »
  • Historique des commĂ©morations

« Prise à la course »

Dans son livre signalé dans notre bibliographie, Charlotte Delbo (Le convoi du 24 janvier, Éditions de Minuit, 1966) apporte les explications :

« … Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes , déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage.

Femmes AuschwitzRangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.

Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. « En arrivant à la porte, il faudra courir. » L’ordre se transmettait des premiers rangs.

Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté.

Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là … »

Guillon Aminthe

Noémie Durand, Aminthe Guillon, Pauline Pomiès, "prises à la course"

Historique des commémorations

Extrait d’une communication de Jean Cavignac, conservateur des Archives départementales de la Gironde, présentée lors d’un colloque du CNRS, organisé à l’occasion des 40 ans des commémorations de la seconde guerre mondiale.

« …Dès le 21 septembre 1944, une cérémonie a lieu au mémorial Saint-Bruno, avec des « délégations de toutes les Résistances ». Le 28, la Gironde Populaire, organe quotidien de la Région bordelaise du PCF, commence, sous le titre « Le charnier de Souge-Nos fusillés », une série de biographies des victimes. Le dimanche 22 octobre, le Comité provisoire de l’Union Départementale de la CGT organise une cérémonie à la Bourse du Travail et au mémorial Saint-Bruno. En 1945, l’Amicale des familles de fusillés et l’Amicale des amis des fusillés organise le 8  avril les obsèques de 23 des 38 fusillés de la commune de Bègles. Les otages de Souge font encore l’objet d’un hommage lors du premier anniversaire de la Libération de Bordeaux.

Si le souvenir du 21 septembre 1942 n’est célébré que par un article de la Gironde Populaire (n° 319, 21/9/45), celui du 24 octobre 1941 est marqué par des cérémonies grandioses : le samedi 27 et le dimanche 28, un cénotaphe est dressé devant le Grand-Théâtre : le premier jour les personnalités officielles s’y recueillent ; le deuxième jour, des délégations en partent pour se rendre au mémorial Saint-Bruno, accompagnées d’une foule estimée à 7 000 personnes (la Gironde Populaire, n° 351, 29/10/45).
En 1946, le groupe communiste du conseil municipal de Bordeaux demande l’érection d’un monument sur les allées de Tourny, au cœur de la ville, mais on se contentera de célébrer les anniversaires des 21 septembre et 24 octobre.
En 1947, l’anniversaire du 21 septembre n’est célébré que par l’inauguration d’une stèle aux Ateliers Industriels de l’Aéronautique (AIA), « à la mémoire des ouvriers victimes de la barbarie nazie ».

En 1949, où apparaît le Comité du Souvenir des fusillés de Souge, le 21 septembre est célébré à Souge, mais la seule personnalité officielle est le Maire de Martignas ; le général commandant la région et le préfet ne sont plus représentés. Par contre, le premier l’est aux cérémonies du 23 octobre, et les Nouvelles peuvent encore titrer : « Les cérémonies de Souge et de Bordeaux se sont déroulées sous le signe de l’union des patriotes pour la paix » (n° 287 du 24/10/1949). En réalité l’union est déjà rompue.
Cela se voit en 1950, où le 21 septembre n’est célébré que dans les entreprises et à la Bourse du Travail, et où la cérémonie de Souge, le 22 octobre ne compte plus comme personnalité officielle que le colonel commandant le camp (le pasteur Schyns représente la FNDIRP) ; le général commandant la région a interdit que les drapeaux des associations apparaissent.

Ainsi, avec la guerre froide, on assiste peu à peu à la rupture de l’unanimité originelle dans les cérémonies en l’honneur des fusillés de Souge ; celles-ci apparaissent de plus en plus comme la commémoration de gauche et plus particulièrement du parti communiste. La rupture est très sensible lors des 10° anniversaires des fusillades en 1951 et 1952. Les thèmes évoqués (le réarmement allemand, la réapparition de « traîtres » dans le gouvernement Pinay) valent aux organisateurs une « note d’information » des Renseignements généraux.
En 1953 et 1954, les cérémonies de Souge sont également des manifestations d’opposition à la politique du gouvernement, le pèlerinage du 23 octobre, sous la présidence de Marie-Claude Vaillant-Couturier, vice présidente de la FNDIRP, se déroule sous le thème : « Pas d’armes aux bourreaux de Souge et Châteaubriant ».

1955 marque le début de l’unification des deux pèlerinage à Souge : le 21 septembre n’est plus célébré qu’à la Bourse du Travail ; le 24 octobre fait l’objet d’une double cérémonie : le 20 à la Bourse et le 24 à Souge, sous la présidence de Pierre Villon, député du PCF et président de l’ANACR et d’un membre du bureau de la FNDIRP.

De 1956 à 1958, Les Nouvelles disparaissent en tant que quotidien ; aussi les renseignements sur le pèlerinage sont-ils moins nombreux pour cette période. Peut-être est-ce lié à nos sources, mais on a l’impression que de 1959 à 1972, l’évolution du pèlerinage se fait sous trois aspects : un certain essoufflement, l’accentuation du caractère « commémoration de gauche », et la fixation définitive des dates et lieux des cérémonies.
En 1973, au contraire, on assiste à un certain renouveau et à une ouverture qui se poursuit jusqu’en 1976. Ainsi en 1973, les orateurs, au côté de Georges Durou, ancien déporté, sont Michel Sainte-Marie, député socialiste de la circonscription, et P. Feigelson, secrétaire du Comité pour la recherche des criminels de guerre ; le préfet d’Aquitaine et le Maire de Bordeaux se sont fait représenter.

En 1974, on note la présence du conservateur du Centre Jean Moulin, d’un maire socialiste et d’un maire gaulliste, du commandant de gendarmerie et du secrétaire de l’Office des combattants qui représente le préfet… »