Dernière(s) lettre(s)
Fort du Hâ, mercredi 26 janvier 6h du matin
Ma Bien Aimée,
Je pars le cœur plein de toi et mon seul regret sur terre est de t’avoir trop peu aimée, de n’avoir pas pu te rendre heureuse.
Mais je veux avant tout te faire mes dernières recommandations.
Je sais quel va être ton désespoir, mais je connais aussi ton courage. Aussi, je veux que tu emploies tes forces à soutenir maman qui va recevoir un coup terrible alors qu’elle est déjà épuisée.
Tu lui serviras de fille, puisqu’elle perd un fils. Tu guideras et conseilleras Claude pour en faire un homme. Je suis certain qu’il fait tout ce qu’il peut pour être bachelier à la fin de l’année. Il doit être raisonnable et sérieux pour deux. J’espère que sa surdité va cesser avec la croissance. Je voudrais qu’il travaille beaucoup pour se faire rapidement une situation.
Pour toi, ma chérie, te voilà veuve à 22 ans. Tu sais que j ‘avais envisagé ce cas et mon désir le plus sacré est de te voir fonder de nouveau un foyer. Ce vœu n’est pas une injure à ton amour dont je connais la puissance. Tu es jeune. Dans quelques années, les forces de la vie vont reprendre le dessus et mon souvenir aura perdu son amertume. Tu te souviendras alors de mes dernières pensées et tu sauras que je serai heureux de te savoir heureuse. Ne crois pas que je quitte la vie avec désespoir. Bien au contraire, depuis quelques jours j’ai le calme et la paix de la mort. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait. En mon âme et conscience je crois avoir agi selon mon devoir d’homme. Maman et Claude ne me blâmeront pas d’avoir parlé uniquement de toi. Je les ai présents dans mon cœur, mais le temps et le papier risquent de me manquer. Mes dernières heures sont adoucies par la présence de bons camarades et par de petites satisfactions matérielles qui nous sont accordées : gâteaux, confitures et cigarettes. Je te répète une dernière fois, mon seul regret est de n’avoir pas donné à ma femme la récompense que méritait son amour.
À toi ma femme chérie, mes dernières pensées et mon baiser le plus fervent.
Alain
Cette lettre nous a été remise par Francette Agostini, responsable de l’ARAC et du Parti communiste et qui organisait à ce titre chaque année une cérémonie à Castillon la Bataille en hommage à Camille Maumey et Alain Domecq
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