Dernière(s) lettre(s)
Fort du Hâ Bordeaux 23 janvier 1944 5h du matin
Mon cher Henri,
Je t’écris malgré notre petite brouille qui, j’en suis sûr, n’est pas bien grave. Je suis condamné à mort et doit être exécuté ce matin. Cela ne m’épouvante pas comme on a l’habitude de le croire. J’étais habitué à cette idée depuis le temps que je mène cette vie illégale. Enfin, passons !
Tu sais peut-être que la frontière italienne est fermée ce qui m’empêche d’écrire à mon oncle là-bas. Quant à mon frère, j’ignore où il peut être ; en tout cas, je compte sur notre amitié de jeunesse pour faire ce que je te demande. D’abord d’écrire à mon oncle, aussitôt que cela sera possible, de prévenir mon frère, si un jour il revient à Méricourt. Pour la lettre il faut la faire en italien.
Tu feras mes amitiés à nos anciens camarades, Louis, Gustave, son frère Léon, sa femme Fernande, sa mère. N’oublie pas cette dernière : elle me rappelle temps de choses (le bal chez Françoise). Va la trouver et dis-lui que je n’oublie pas les beaux dimanches passés ensemble. Elle connaît l’italien ; elle pourra faire la commission. N’ayant personne je t’envoie aussi ce qui me reste de linge ; arrange-toi avec elle ; elle a beaucoup d’enfants, cela pourra peut-être servir.
J’aurais encore des tas de choses à t’écrire sur mon compte, mais cela serait inutile.
Je te demanderai en outre de fleurir et de nettoyer la tombe de mes parents. Tu le feras avec les autres petits camarades, s’ils le veulent.
En ce moment je pense aussi à un grand petit camarade : je veux parler de Jean. Ma destinée et la sienne vont se rencontrer.
Si tu vois son père assure-le de toute mon affection ainsi que sa femme Marie et tous les petits.
Ne me plains surtout pas ; je meurs en soldat et bien d’autres avant moi m’en ont indiqué la route. J’espère que cela ne sera pas inutile ; j’en suis sûr.
J’entends des pas cher Henri je crois que ce sont eux. Seize copains avec moi vont faire le voyage ; le vent siffle et il pleut aujourd’hui !… Ça ne fait rien tout passe et les beaux jours reviendront vite !
Je te quitte avec le seul regret de ne pas dormir à côté de mes chers parents. Si un jour tu vois mon frère dis-lui que je meurs en pensant à lui, tout jeune encore.
Bien le salut à tous. Embrasse le père de Jean et toute sa famille pour moi, ainsi que la belle-mère et sa famille. Ne l’oublie pas surtout
Je te serre la main et te dis adieu
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Copie de la lettre éditée dans « Lettres de Fusillés ». Comporte 2 erreurs :la date d’exécution qui est en réalité le 26 janvier 1944 et le nom (il est indiqué à tort Sacelli au lieu de Saielli).
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